vendredi 31 août 2012

Brève XXXI

Arrivant à peine exténué et très légèrement transpirant, je déposai mon Vélib’ lorsqu’elle prit le sien. Pressée de traverser, elle en oublia la couleur des feux ; je la retins au dernier moment afin qu’elle ne se fît pas écraser. Il eut été dommage d’abimer ce corps magnifique, de déchirer, même un peu, dans un choc inhumain et matériel, la soie lisse et diaphane qui lui tenait de peau, la projetant au loin dans un vol d’ange privé de ses ailes, et de voir s’étaler un sang rouge et visqueux sur sa petite jupe blanche virevoltant dans une brise d’aquilon. Les seules blessures qu’elle eut ce soir là furent mes griffures.

mercredi 29 août 2012

Brève XXX

Il crut d’abord y voir un signe de la Moïra, manifestation transcendantale de sa destinée, forcément exceptionnelle car il est Tout. Mais il avait commis l’hybris de façon répétée et assumée, s’en vantant littéralement : il ne pouvait qu’en subir les conséquences. En l’espace d’un quart d’heure, le tête-à-tête imaginé et espéré se changea en une réunion conviviale et collégiale, avant de brutalement l’enfoncer dans une torpeur solitaire. Il fut figé sur place, glacé, apathique, ne pouvant pas réagir à l’amusement machiavélique de Némésis, l’implacable vengeresse qui semblait plus attachée à lui qu’à aucun autre homme.

lundi 27 août 2012

Brève XXIX

Je le sais que ce n’est pas la plus jolie, que son caractère assez éloigné du mien ne mènera qu’à des confrontations qui, même si elles se résoudront d’abord par des gesticulations physiques, finiront verbalement par disloquer la tenue légère de notre relation, et que ses défauts physiques ne seront pas longtemps compensés par le fait qu’elle veuille de moi –sa plus grande qualité. Je subodore déjà que tout cela se finira dans les cris, les coups et le sang mais aujourd’hui je meurtrirais mon corps et mon âme pour un bonheur conjugal.

vendredi 24 août 2012

Brève XXVIII

L’engeance ignorante, crasse et vulgaire ne peut que lamentablement s’extasier devant ces processions fadasses et bigarrées de serviles troupiers psalmodiant inlassablement des fariboles et des balivernes sensées sauver nos âmes d’un tourment éternel par le truchement de ces prières absconses à l’intension d’un pseudo-être supérieur, dont la véracité ne fut jamais démontrée, maître suprême dirigeant implacablement nos destinées futiles et ridicules, depuis notre première mitose jusqu’à notre dernière goutte de pisse, comme si sa magnificence ne servait qu’à régenter misérablement nos existences pitoyables. La différence entre Dieu et moi ? Moi j’existe.

mercredi 22 août 2012

Brève XXVII

Apparemment je l’ai « prise au dépourvu». Passé quelques minutes, une fois la confusion évaporée et l’horripilant espoir de son interlocuteur hors d’écoute, elle se précipita pour rétablir la vérité et décliner la proposition innocente que je venais de lui faire et qu’elle avait pourtant acceptée dans un premier temps. Au moins, l’ai-je prise une fois, me dis-je, ce qui sera sans doute la seule et unique occasion. Par contre, je ne sais pas exactement quelle position c’est le « dépourvu », je pense qu’il doit y avoir une inversion du rôle des partenaires car depuis : j’ai mal au cul.

lundi 20 août 2012

Brève XXVI

Sans doute est-ce pour leur beauté temporaire, uniquement aurorale et vespérale, pour le côté romantique du lever et du coucher du soleil, pour cette couleur associée à l’amour, à la passion, au sang, sans doute est-ce pour tout cela que nous sommes si attirés par ces ondes rougeoyantes. J’aurais pu aussi préférer la pureté naturelle de leur opposé, leur présence plus constante et presque rassurante, peut-être plus délicieuse au final, elles m’iraient probablement mieux ces ondes bleutées. Mais il y a quelque chose au dessus de tout cela, quelque chose de plus transcendant, quelque chose qui me ressemble plus : l’immensité vide du ciel.

samedi 18 août 2012

Brève XXV *

Oui, j’aime Paris. Il y a de nombreux avantages à être amoureux d’une ville : d’abord, je ne crains aucun refus brutal de sa part, je sais qu’elle ne me rejettera pas d’un regard dédaigneux, altier et humiliant ; ensuite, je ne risque pas d’être déçu par ses comportements infidèles ou ses coups d’œil concupiscents envers d’autres hommes. Je peux lui donner mon cœur tout entier, cela ne sera pas assez pour la remplir. Chez elle, il y a toujours quelque chose à découvrir, des nouveautés à trouver ou un recoin à explorer. Elle ne vieillira pas, et surtout : elle me survivra, gardienne immortelle de notre amour éternel.

jeudi 16 août 2012

Brève XXIV *

Je ne me lasse pas d’admirer sa beauté, d’en découvrir de nouvelles facettes, d’essayer de figer éternellement dans ma mémoire ses moindres traits sous des lumières changeantes. Le matin, elle est fraiche et radieuse, illuminant mon réveil ; la journée, elle est travailleuse et concentrée, m’obligeant à patienter au loin pour profiter de ses merveilles ; le soir, elle est repue et satisfaite, me laissant enfin abuser d’elle ; ma ville, mon chez moi. Je ne pouvais pas être amoureux d’elle : j’aime déjà.

mardi 14 août 2012

Brève XXIII

Le tissu glissa lentement sur sa peau, le léger bruissement qui accompagna ce mouvement fut sans doute le son le plus agréable qu’il entendît de sa vie ; il découvrait une chair claire, rose et tendre, beaucoup plus que celles de ses souvenirs ; il ne fut pas tout à fait sûr de ses gestes, devant puiser profondément dans sa mémoire pour être certain de ne pas commettre un impair ; il tremblait, il perlait de sueur sous l’effet du stress qui découlait de sa crainte qu’elle découvrît la vérité ; il était dans cet état pour elle, elle qui n’était pourtant qu’une folie passagère.

dimanche 12 août 2012

Brève XXII

Il existe une certaine constance incommensurable dans ma vie. Je m’en suis rendu compte ces dernières semaines lors de mes insomnies ; n’ayant d’autre chose à faire que réfléchir, j’ai pu me rappeler ce trait commun à toutes mes histoires, toutes mes fantaisies, plus ou moins longues, plus ou moins voulues, finalement véritable et seul invariant immuable dans une existence chaotique et imprévisible : elles m’ont toutes quitté, la dernière en date étant même Morphée. Que dites-vous ? Morphée était un homme ! Si même eux me quittent…

vendredi 10 août 2012

Brève XXI

Elle avait ce « u » en plus ; cette petite lettre qui fait la différence entre ce cri de délectation : « ola ! » exprimé devant un corps sublime, parfaitement sculpté et mis en valeur comme il faut par un goût prononcé de l’élégance ; et celui de la débectation : « oula… » sorti par réflexe devant une excroissance postérieure, adipeuse et turgescente, horriblement laissée libre à l’aération et s’imposant à nos yeux par la taille excessivement basse d’un pantalon trop fin et trop clair. Cependant, je ne pouvais pas la critiquer et la rabaisser ainsi car j’ai également ce « u », celui que l’on trouve dans le mot : seul.

mardi 7 août 2012

Brève XX

L’environnement était désertique, chaud et rouge, l’air rare ; la seule odeur qui émergeait de l’atmosphère fétide était celle du souffre, mais je ne pus déterminer si cette puanteur venait des restes putréfiés gisant çà et là ou si ce fut une émanation du sol visqueux sur lequel je tentais de marcher, m’enfonçant sans cesse dans une bouillie gélatineuse, flasque et globuleuse semblable à du pus. Quand je m’avançais, les rares habitants des lieux, sans doute des âmes perdues, reculèrent d’effroi et poussèrent des cris stridents. Lorsqu’il me croisa, le Diable frissonna.

dimanche 5 août 2012

Brève XIX

Elle regardait dehors, ne semblant pas sûre de l’endroit où l’on était. Je lui confirmai le terminus puis lui indiquai les sorties possibles : « Par ici, vous aurez quelques bus partant principalement vers l’ouest ; par là, ce sont leurs pendants vers l’est et le nord ; enfin cette direction sera celle où vous prendrez un café avec moi.
- J’ai un peu d’avance et j’ai besoin de me détendre donc je crois que je me laisserais bien tenter par cette dernière option. »
Je n’avais pas cette avance mais l’appel de ses yeux et surtout de son cul fut plus fort que celui de mon poste de travail ; je fus terriblement en retard.

jeudi 2 août 2012

Brève XVIII

« - Bonjour Mademoiselle. Est-ce que vous auriez une cigarette ?
- Euh oui tenez.
- Merci. Si je vous recroise un matin devant ce même bus je vous la rendrais. Bonne
journée. »
Il s’éloigna puis retourna vers elle quelques instants plus tard.
« Bonjour Mademoiselle. Permettez-moi de vous offrir cette cigarette, comme je vois que vous fumez. Cependant, je ne puis que trop vous encourager à arrêter, cela gâche votre teint superbe, vos doigts délicieusement fragiles et vous donne une haleine de poney mort. »
Sans doute n’est-ce pas la meilleure approche qu’il pût avoir ; pardonnez-le : il débute.