dimanche 30 septembre 2012

Brève XLI *

Lorsqu’il part en voyage, il lui semble important de se fondre dans la masse autochtone, de manger comme eux, de vivre comme eux le temps de son séjour, même si bien souvent ils ne font que découvrir les bienfaits de la civilisation. Généralement, la nourriture est riche en graisse, afin de protéger leurs corps fragiles des agressions du froid ; la finesse n’est présente ni dans leur langue, abrupte et écorchant rapidement nos oreilles délicates, ni dans leurs plats, assemblages hétéroclites de substances cuites ensemble pendant des heures, ni dans leurs alcools locaux dont l’utilité première est de créer dans un corps presque mort un sursaut de vie. Il avait déjà testé tout cela, il ne lui restait plus qu’à goûter aux femmes.

vendredi 28 septembre 2012

Brève XL

Je pensais être définitivement en retard. Pour la convaincre de céder à mes avances, je lui avais pourtant promis que ce mauvais trait de caractère serait aussi loin que les pensées malsaines que j’avais pour l’autre, les deux choses qui étonnamment la rebutaient encore. Je décidai donc de prendre un Vélib’ et de me faufiler le plus rapidement possible entre les voitures et leurs conducteurs parisiens, persuadé que je serais capable d’éviter les embûches, les changements de file intempestifs, les ouvertures de porte spontanées, etc. ; classique faute de débutant. Quand je pense que j’ai failli mourir sans jamais avoir goûté ses lèvres…

mercredi 26 septembre 2012

Brève XXXIX

A la station Filles du calvaire, avachi négligemment en attendant ma rame, je vis surgir sur le quai d’en face une femme avec des bottes à très hauts talons. Elle les faisait claquer dans un bruit infernal et affolant, se répercutant sur toutes les parois, pour revenir à nos oreilles meurtries, tel le bourdonnement obnubilant du tocsin nous prévenant d’un danger que nous encourrions. C’était donc elle la fille du calvaire, celui que l’on subit quand on lui fait retirer ses bottes après trop d’écorchures sur notre corps trop mince pour supporter autant de douleur extatique.

dimanche 23 septembre 2012

Brève XXXVIII

J’avais enfin décidé de me remettre à courir. Paris offrant mille façons et mille endroits pour le faire, je me dirigeai donc naturellement vers le parc le plus près de chez moi. Le plus important lors d’une redécouverte des efforts physiques est de trouver une source de motivation ; je trouvai la mienne. Elle avait la vitesse adéquate, celle qui se mariait parfaitement à mon rythme saccadé, alternance de course et de marche. Je me rapprochais peu à peu d’elle, avant de la voir s’éloigner lorsque je devais ralentir. Elle était si proche et en même temps si inaccessible, comme je les aime. J’ai couru plus de vingt minutes, sans jamais regarder autre chose que son cul.

jeudi 20 septembre 2012

Brève XXXVII

Je n’aurais pas cru qu’elle pût me manquer. Cela commença par quelques détails : des passages furtifs que j’imaginais être les siens, des bruits de pas qui résonnaient comme les siens, mais tout cela ne fut rien en comparaison de celui qui déclencha ma psychose. Elle s’était assise derrière moi, nous étions dos-à-dos, je ne pouvais en aucune façon voir son visage. Cependant, je reconnus tout de suite son odeur : je me retournai ; ce n’était pas elle. Son parfum continua pourtant à me hanter quand, dans la rue, je rentrais chez moi. Soudain je compris la raison et pourquoi je baignais dans des effluves me la rappelant : c’était le jour des poubelles.

mardi 18 septembre 2012

Brève XXXVI

Cela faisait quelques temps déjà qu’elle me tournait autour. J’avais plusieurs fois été tenté de la suivre. Mais, par crainte sans doute, je n’avais jamais osé faire ce pas et plonger dans l’inconnu de ses promesses éternelles. Elle revint à nouveau, encore plus décidée qu’avant, persuadée que cette fois-ci elle me ferait fléchir, que je succomberais à ses appels. Cependant, bien des choses avaient changé et son attrait périclitait à chaque seconde, gardant toutefois l’immortalité comme appas indépassables. Je ne savais plus vraiment si je voulais la suivre. Elle remit sa capuche, prit sa faux et je lui dis : « A demain ».

lundi 10 septembre 2012

Brève XXXV

Il parait que je suis lunatique, il parait. Mais le lunatique change d’humeur sans raisons, ce qui n’est pas mon cas. Sans doute, vous ne les voyez pas ; sans doute, vous ne les percevez pas ; sans doute, vous ne les comprenez pas. Sont-elles futiles ? parfois ; ridicules ? quelques fois ; inutiles ? à chaque fois. Le lunatique alterne dans son humeur, passant d’une joie extrême à une dépression profonde, en un éclair, en un instant ; il ne connaît pas la constance, au contraire de moi. Je ne suis pas lunatique : je n’ai que temporairement des bouffées d’espérance.

vendredi 7 septembre 2012

Brève XXXIV

Elle le trouvait « creux », curieux adjectif pour un homme pourtant bien en chair, tellement plus en courbes que moi, mais qui marquait bien l’indigence de mon concurrent. Ce jugement péremptoire l’écartait définitivement et me laissait seul prétendant à la dévastation de son cœur. J’attendais avec impatience la vision qu’elle avait de moi et le mot qui me représentait à ses yeux. Elle ne savait pas trop : mon insaisissable personnalité me protégeait d’un classement sémantique banal. Pour l’aider, je lui proposai « concave » ou « convexe », gardant ainsi cette idée de courbure et approprié à mon regard déformant de la réalité. Elle ne trancha pas mais fut au moins d’accord sur une chose : le préfixe.

mercredi 5 septembre 2012

Brève XXXIII

En face de moi, alors que j’étais tranquillement assis sur un banc, il y eut l’apparition presque magique d’une femme en tailleur et talons hauts. Elle trottait de manière saccadée, dévoilant de façon alternée et discontinue la chair rose et tendre de ses jambes, dans un langage masqué, inconnu du profane, mais que je sais interpréter depuis qu’une précédente me l’a appris. La fente de sa jupe montait suffisamment haut pour nous faire profiter de ce morceau privé, que seul l’élu connaît ; plus maintenant. Je décryptai ce que codait la morseuse en chair à la jupe fendue, elle me disait : « Viens ».

dimanche 2 septembre 2012

Brève XXXII

Je n’avais jamais fait attention à ce détail : je ne l’avais pas vu avant. Étonné par mon propre manque d’observation, je lui en fis la remarque :
« - Tiens vous avez une bague à votre annulaire gauche, je n’avais jamais remarqué.
- C’est normal : je me suis mariée cet été ! »
Voulant faire bonne figure et masquer ma liquéfaction, je me sentis obligé de la féliciter et d’accentuer le détachement qui sied à nos relations mercantiles.
« - C’est pour ça que vous étiez fermés tout le mois de juillet ! Pour vous laisser partir en lune de miel, votre patronne est trop généreuse avec vous ! »
Elle sourit. Elle ne m’avait plus souri comme cela depuis un mois, cela m’avait manqué. Mais elle ne me sourira jamais comme elle lui sourit.